

Aurore, Paul Valéry
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Qui ne soit au ravisseur
Une féconde blessure,
Et son propre sang l’assure
D’être le vrai possesseur.
J’approche la transparence
De l’invisible bassin
Où nage mon Espérance
Que l’eau porte par le sein.
Son col coupe le temps vague
Et soulève cette vague
Que fait un col sans pareil...
Elle sent sous l’onde unie
La profondeur infinie,
Et frémit depuis l’orteil.
Exercice n. 1
Le titre du poème est une métaphore. Pouvez-vous
expliquer le sens de cette «aurore»?
Comme le titre l’indique, il s’agit d’un réveil, mais ce réveil n’est pas celui de
la Nature, qui est à peine évoquée dans la première strophe. C’est le réveil
de l’esprit, de la «raison» (v. 10) qui chasse «la confusion morose» (v. 1) qui
caractérise les idées pendant le sommeil. En effet ce poème, qui n’est pas d’une
compréhension immédiate, s’adresse à l’intelligence du lecteur, il est consacré
à l’éveil de l’intelligence et du désir poétique.
Ce parcours n’est pas très simple, le poète le décrit comme un travail bien
difficile: «Je ne crains pas les épines! L’éveil est bon, même dur!» (v. 71-72).
Les idées sont personnifiées, ce sont des «Maîtresses de l’âme, Idées,
Courtisanes par ennui»; le poète les accuse d’avoir couché ailleurs, de l’avoir
presque abandonné. Elles se défendent répondant qu’elles ont travaillé près de
lui, comme des araignées invisibles «Nous étions non éloignées, Mais secrètes
araignées». Pendant la nuit elles ont très patiemment tissé le fil de la création
poétique.
«Aurore» c’est le poème qui ouvre le recueil «Charmes», car il contient un
véritable «Art poétique»: le titre en annonce toute l’épaisseur, car une sorte
d‘aurore de l’esprit inaugure ce parcours créatif. C’est le poète lui-même, qui
assiste à la fuite des songes confus, qui voit sa conscience illuminer son Moi dans
une aurore intérieure, et qui analyse les phases successives allant du sommeil à
la création artistique. Le point de départ est «La confusion morose… Qui me
servait de sommeil...» (vers 1-2). Le point d’arrivée est la piqûre indispensable
de l’abeille-pensée (ou encore des épines), images qui symbolisent l’effort de
l’homme pour voir clair en lui-même : «Je ne crains pas les épines!» (v. 71).
Valéry, désireux de comprendre comment fonctionne l’esprit, fait de la
poésie le lieu même du processus de la création poétique. Poète néo-classique